- CHAÎNES DE MONTAGNES (typologie)
- CHAÎNES DE MONTAGNES (typologie)À la surface de la Terre, les zones de relief élevé qui forment ce que l’on appelle des « chaînes de montagnes» constituent un trait morphologique de première importance, comparable à celui des dorsales qui sillonnent le fond des océans. Les chaînes de montagnes correspondent donc à un marqueur géologique de premier ordre qui nous renseigne sur le fonctionnement de notre planète.Les géologues l’ont compris très tôt. Dès le XIXe siècle, ils ont commencé à étudier les grandes chaînes de montagnes du globe. Ils ont rapidement montré que la durée de vie d’une chaîne pouvait dépasser 100 millions d’années. Ils ont distingué plusieurs stades dans la vie de ces chaînes et ont commencé à proposer des mécanismes explicatifs. Cependant, malgré un travail minutieux effectué dans quelques régions comme les Alpes, c’est seulement dans les années 1970 que l’on a commencé à avoir une vue globale de ce problème, et cela à la lumière des acquis de la tectonique des plaques. En effet, si on savait, grâce à la découverte des charriages, que les continents s’étaient déplacés les uns par rapport aux autres, on ne connaissait pas l’importance de ces déplacements; or on est sûr aujourd’hui qu’ils atteignent plusieurs milliers de kilomètres. Par ailleurs, on ignorait que les fonds océaniques pouvaient disparaître par subduction dans le manteau terrestre, et on n’avait pas encore compris que les ophiolites, complexes de roches basiques et ultrabasiques que l’on trouve dans les chaînes de montagnes, sont des vestiges d’anciens océans disparus dans ces zones de subduction. Enfin, les ordres de grandeur des vitesses de déplacement des continents les uns par rapport aux autres étaient inconnus. Grâce à l’étude des océans, on sait maintenant que ces vitesses sont de quelques centimètres par an, c’est-à-dire de quelques milliers de kilomètres en 100 millions d’années.Pour reconstituer l’histoire d’une chaîne, il faut donc connaître l’histoire des océans voisins. Ainsi, la formation des Pyrénées et des Alpes ne peut être étudiée sans tenir compte de l’évolution de l’océan Atlantique. C’est dans cet esprit que sera fait le point sur l’état de nos connaissances concernant le mode de formation des grandes chaînes de montagnes.1. La convergence des plaques et les types de chaînes de montagnesEn tectonique des plaques, on admet que la couche la plus externe du globe, ou lithosphère, est formée par une dizaine de grandes plaques, relativement rigides, qui se déplacent les unes par rapport aux autres; elles sont séparées par des zones, plus ou moins étroites, où se trouve concentrée la déformation et qui correspondent, actuellement, aux zones sismiques.La nature des déformations qui se produisent dans ces zones dépend du mouvement relatif des plaques, de la géométrie et de l’orientation de leurs limites par rapport à ce mouvement (fig. 1). Si les plaques s’écartent (divergent), la zone s’allonge: elle est en extension; lorsque l’écartement est important, il naît un océan. Si les plaques coulissent parallèlement à leurs limites, de grands décrochements prennent naissance. Si les plaques se rapprochent (convergent), la zone se raccourcit: elle est en compression; c’est dans ce contexte que se forment les chaînes de montagnes.La figure 2 montre que le bilan des mouvements de convergence, de divergence et de coulissage, et des cas intermédiaires, doit être fait à l’échelle du globe. L’ouverture des océans, qui correspond à un écartement des continents, est nécessairement compensé par un rapprochement de continents dans d’autres zones du globe. Les chaînes de montagnes sont donc la conséquence de l’ouverture des océans.On distingue deux grands types de convergence. Le premier se produit lorsque l’ouverture d’un nouvel océan (néo-océan) est compensée par le rétrécissement d’un ancien océan (paléo-océan) qui finit par se fermer totalement. Cette disparition progressive du vieil océan se fait grâce à une subduction, c’est-à-dire à un enfoncement et à une absorption du plancher du paléo-océan dans le manteau. Les figures montrent que la subduction est un phénomène à l’échelle de la lithosphère, rigide, qui s’enfonce dans l’asthénosphère sous-jacente, visqueuse. Ce mécanisme, qui est très fréquent, correspond à un régime stationnaire qui peut fonctionner pendant de très longues périodes (plus de 100 millions d’années) avec une vitesse de convergence importante (plus de 10 centimètres par an); les perturbations du champ de contraintes qu’il provoque sont souvent assez localisées; elles peuvent être aussi bien en distension qu’en compression.Le second type de convergence se produit dès lors qu’un continent commence à s’enfoncer dans une zone de subduction. On parle alors de collision si deux continents entrent en contact et d’obduction si un continent s’enfonce sous une plaque océanique. Or les continents ne peuvent pas être entraînés dans le manteau, contrairement au plancher océanique. Ils offrent une résistance à la subduction, et celle-ci se ralentit et parfois se coince;la vitesse de convergence diminue (moins de 5 cm par an), les perturbations du champ de contraintes sont fortes et s’étendent à une large zone. On est passé d’un régime stationnaire à un régime transitoire.Ces deux types de convergence se comprennent bien si l’on tient compte de la nature de la lithosphère impliquée dans les zones de convergence. La lithosphère se subdivise en deux couches. La couche inférieure, correspondant au manteau supérieur, est la plus épaisse; elle est formée de péridotites (roches ultrabasiques lourdes); son épaisseur sous les continents (de l’ordre de 100 km) est plus grande que sous les océans. La couche supérieure correspond, dans les continents, à l’écorce continentale (épaisse de 30 à 40 km) et, sous les océans, à l’écorce océanique , épaisse seulement de 5 à 7 kilomètres. On passe de l’une à l’autre de façon progressive.Ces deux écorces sont très différentes sous les sédiments superficiels qui peuvent, localement, atteindre 10 kilomètres d’épaisseur. Dans l’océan, il s’agit de roches volcaniques basiques (avec coulées de lave en surface). Dans le continent, en revanche, il s’agit de roches acides, dont le granite est le type, mais qui correspondent essentiellement à des micaschistes et à des gneiss; à la base de l’écorce, on passe à des granulites.Or ces roches continentales sont beaucoup plus légères que celles de l’écorce océanique et que celles du manteau supérieur. C’est en raison de cette différence de densité que les lithosphères océanique et continentale réagissent différemment à la convergence. La première, dense, peut être entraînée sans trop de difficultés en profondeur dans une zone de subduction. Il n’en est pas de même pour la seconde. En effet, quoi qu’il arrive, la couche continentale supérieure surnage en raison de sa légèreté. Un continent ne peut pas disparaître: «fluctuat nec mergitur ». Il subit cependant une déformation de plus en plus grande, qui provoque son épaississement; mais, compte tenu des différences de densité entre l’écorce et le manteau (respectivement 2,7 et 3,3), cet épaississement ne semble guère pouvoir dépasser la valeur limite de 60 à 70 kilomètres. Pour des raisons d’équilibre, cet épaississement provoque la formation de reliefs qui sont d’autant plus élevés que la racine crustale est plus importante; ces reliefs sont attaqués par l’érosion au fur et à mesure de leur surrection.Ainsi naît une chaîne de montagnes; une chaîne de collision peut grandir, s’élargir et évoluer pendant plus de 50 millions d’années, jusqu’à l’arrêt total de la convergence. Elle est alors progressivement aplanie par l’érosion.Dans une chaîne, le style de la déformation varie beaucoup. Dans sa partie supérieure, les sédiments se fracturent, puis se plissent; en même temps, plus bas, l’écorce se débite en chevauchements. En profondeur, comme la température devient de plus en plus élevée, l’écorce inférieure se déforme de façon ductile, à la manière des métaux; par places, elle fond. Grâce à l’érosion et à l’intervention de grands chevauchements, des roches qui ont été déformées et métamorphisées à des profondeurs de 20 à 30 kilomètres peuvent être remontées jusqu’en surface. On peut alors étudier sur le terrain les parties profondes de la chaîne.Il est probable que, dans les parties très profondes, un grand contraste existe entre l’écorce inférieure, intensément déformée, et le manteau supérieur, formé de péridotites, et qui, à la même température, se comporte encore de façon rigide. De ce fait, il existe probablement un décollement général entre l’écorce et le manteau.On peut conclure de l’exposé ci-dessus qu’il existe différents types de chaînes . Ce sont: les chaînes de subduction , associées à une subduction péricontinentale; les chaînes d’obduction , résultant de l’évolution d’une subduction intra-océanique; les chaînes de collision . Il faut y ajouter les chaînes intracontinentales , qui ne sont pas associées à des subductions mais qui se forment à l’intérieur des continents.2. Les chaînes de subductionLa cordillère des Andes, qui longe sur près de 8 000 kilomètres la côte pacifique de l’Amérique du Sud, est l’exemple le plus significatif de chaîne de subduction.L’exemple des Andes centralesLa chaîne andine fait partie de la ceinture sismique et volcanique péripacifique appelée «ceinture de feu». Sous les Andes, la répartition des foyers des séismes montre que ceux-ci se trouvent dans une zone qui, partant de la fosse océanique péruano-chilienne, plonge avec un angle de 10 à 300 sous le continent sud-américain. Cette zone sismique est la manifestation de ce phénomène géodynamique majeur appelé «subduction». La lithosphère pacifique s’engloutit (on dit qu’elle subducte) à une vitesse de l’ordre de 10 centimètres par an, en se fracturant, sous le continent sud-américain (fig. 3 et 5), dans une partie peu résistante du manteau qu’on appelle l’asthénosphère. Mais il existe également une sismicité superficielle qui indique que la lithosphère andine se déforme aussi activement. Or les Andes sont en grande partie constituées de roches métamorphiques précambriennes (2 à 0,6 milliards d’années) et paléozoïques (570 à 230 millions d’années) identiques à celles que l’on trouve actuellement dans le continent sud-américain (cf. chaîne ANDINE). Cela montre que la chaîne des Andes résulte essentiellement de la déformation de la bordure occidentale du continent sud-américain; celle-ci s’étend sur 500 à 700 kilomètres d’ouest en est. On distingue les Andes septentrionales et australes d’une part et les Andes centrales d’autre part. Les premières, qui comportent des ophiolites, ont présenté à un moment de leur histoire les caractères d’une chaîne d’obduction (cf. chap. 3). Les Andes centrales représentent, elle, un exemple typique de chaîne de subduction mais ayant la particularité d’avoir une altitude élevée (4 000 à 5 000 m d’altitude moyenne) et une croûte continentale épaisse (60 à 70 km).Les Andes centrales montrent une organisation simple. Au sud du Pérou, on y distingue (fig. 5 a) la cordillère de la côte et le piedmont, qui s’élèvent du Pacifique jusqu’à environ 3 000 mètres d’altitude, la cordillère occidentale, vaste plateau volcanique (altitude moyenne 4 500 m) couronné par des volcans actifs qui atteignent souvent plus de 6 000 mètres, l’Altiplano, qui forme une haute plaine (altitude moyenne 4 000 m), la cordillère orientale, dont l’altitude peut atteindre 7 000 mètres et qui se raccorde par un versant à forte pente à une zone de collines, appelée zone subandine. Celle-ci borde le bouclier brésilien (l’Amazonie), dont l’altitude est inférieure à 300 mètres.L’évolution des Andes centrales peut se résumer schématiquement en trois stades. Entre environ 漣 180 et 漣 80 millions d’années, les Andes centrales ressemblent à l’arc indonésien actuel. Cet arc andin est formé d’un chapelet d’îles volcaniques dont le chimisme calcalcalin témoigne, par comparaison avec les zones de subduction actuelles, que la subduction andine est alors déjà active. Cet arc est installé sur la bordure continentale sud-américaine, dont la croûte est probablement amincie. C’est entre 漣 80 et 漣 40 millions d’années que les Andes subissent les deux plissements les plus importants. Le domaine andin émerge alors progressivement. C’est à cette époque que la croûte continentale andine a dû commencer à s’épaissir. Enfin, entre 漣 40 millions d’années et l’époque actuelle, la cordillère andine acquiert son altitude élevée. Pendant ces deux derniers stades, le volcanisme demeure calcalcalin (c’est-à-dire caractéristique d’une zone de subduction) mais il est accompagné d’émissions de laves qui proviennent de la fusion de la croûte continentale. Celle-ci subit des déformations non seulement en compression mais aussi en extension.L’étude des déformations récentes et actives montre en effet que, dans la plus grande partie des Andes centrales, la croûte continentale est soumise à une extension suivant une direction voisine de nord-sud. Seules les bordures de la chaîne sont comprimées: à l’ouest, le long de la zone de friction entre la plaque pacifique et la plaque sud-américaine, et à l’est, dans la zone sub-andine, le long du bouclier brésilien. Cette compression a une direction voisine d’est-ouest (fig. 5 a). Cependant l’énorme épaisseur (15 km) de sédiments détritiques continentaux déposés dans le fossé de l’Altiplano depuis la fin de l’Éocène (face=F0019 漣 40 millions d’années), le volcanisme très actif dans la cordillière occidentale depuis la fin de l’Oligocène (face=F0019 漣 30 millions d’années) et aussi l’observation de failles normales actives au cours du Pliocène et du Quaternaire (c’est-à-dire au cours des 5 derniers millions d’années), semblent tous montrer que le mode de déformation en extension est un trait remarquable de l’histoire de cette chaîne depuis au moins 40 millions d’années. Toutefois, au cours de cette période, les Andes ont été aussi comprimées, cela au cours de quatre événements (ou phases), vers 漣 30, 漣 15, 漣 7 et 漣 2,5 millions d’années. Ces phases de compression sont de courte durée (probablement moins de 2 millions d’années) par rapport à la période d’extension, et surtout elles ne produisent que des raccourcissements modérés. En particulier, rien dans les Andes ne témoigne de la formation par compression de grands cisaillements de la croûte continentale tels que ceux que l’on connaît dans l’Himalaya (cf. chap. 4).Les Andes résultent donc d’une déformation intra-continentale qui se développe aux dépens du continent sud-américain. C’est une chaîne en quelque sorte paradoxale, puisque l’extension y occupe une place importante et que les phases de compression y sont de courte durée. Elle est caractérisée aussi par un volcanisme et un plutonisme calcalcalin, et par une sédimentation continentale épaisse dans des fossés subsidents. Un autre trait marquant de cette chaîne est aussi sa forte surrection, qui est acquise pour l’essentiel entre 漣 25 et 漣 5 millions d’années. Un des problèmes majeurs qui se posent est celui de l’épaisseur importante (60 à 70 km) de la croûte continentale sous les Andes. Ce problème reste actuellement non résolu en l’absence d’études sismiques détaillées de la structure profonde de la croûte andine. Toutefois, il apparaît très peu vraisemblable que cette croûte épaisse résulte de la superposition de deux croûtes d’épaisseur normale: l’une sud-américaine, l’autre provenant d’un microcontinent d’origine pacifique qui serait entré en collision avec l’Amérique du Sud, tout comme l’Inde est entrée en collision avec l’Asie (cf. chap. 4). Cet épaississement peut être dû soit à un raccourcissement de la croûte continentale andine (par un plissement «en accordéon» ou par des cisaillements crustaux), soit à un «rabotage» de la croûte continentale par la lithosphère pacifique subductante avec accumulation sous les Andes des fragments arrachés, soit enfin à l’apport sous les Andes de magmas calcalcalins «légers» provenant de la fusion dans le manteau de la plaque subductée; ces divers processus n’étant pas exclusifs l’un de l’autre.ConclusionsCette chaîne de subduction (de type andin) présente un certain nombre de caractéristiques. Les déformations y sont simples; ce sont en général des plis d’amplitude kilométrique, associés à d’importantes failles inverses; les grandes structures tectoniques dessinent un éventail; le métamorphisme associé reste toujours faible (faciès des schistes verts). Ces déformations compressives se sont produites pendant des périodes assez courtes, de quelques millions d’années. Les intrusions magmatiques y sont nombreuses et l’activité volcanique distensive forte; le chimisme des magmas est de nature calcalcaline.Il apparaît très probable que la formation d’une telle chaîne soit la conséquence de la subduction. Mais si la liaison entre subduction et magmatisme est désormais assez bien comprise (la fusion de la plaque plongeante étant une source essentielle de magmas), l’accord n’est pas encore réalisé sur les relations entre les phases de compression et la subduction. On peut toutefois proposer le schéma suivant (fig. 5): lorsqu’une subduction fonctionne en régime permanent (fig. 5 a), c’est-à-dire avec une vitesse et une géométrie qui permettent sans difficulté l’engloutissement de la croûte océanique dans le manteau, la croûte continentale sus-jacente est soumise à des contraintes en distension, probablement dues à des courants de convection qui se produisent dans le manteau au-dessus de la plaque subductante. Des bassins d’effondrement se créent et des volcans entrent en éruption.Lorsqu’il se produit un changement (direction ou vitesse) de subduction, cet équilibre est rompu, le système se bloque; il en résulte des contraintes compressives suffisantes pour engendrer des plissements (fig. 5 b). Dans ce modèle, les chaînes de subduction correspondraient donc à des anomalies compressives de courte durée, dans un système normalement en distension et caractérisé par un magmatisme intense.On a souvent considéré que ce type de chaîne de subduction se trouvait tout autour du Pacifique, d’où les vocables de chaînes péripacifique, liminaire ou cordilléraine. En fait les cordillères nord-américaines, les chaînes du Japon et même les Andes septentrionales et australes ne sont des chaînes de subduction de type «andin» que pour une partie de leur histoire. Avant le «stade andin», l’obduction et même la collision y ont joué un grand rôle; il s’agit donc de chaînes de montagnes composites (cf. chap. 6).Des fosses sous-marines de 8 000 à 10 000 mètres de profondeur marquent actuellement la trace superficielle de la subduction de la lithosphère océanique dans l’asthénosphère. On en observe tout autour du Pacifique et au sud des îles de la Sonde. On admet que cette limite de plaque est le siège d’une déformation intense affectant ce qu’on appelle le «prisme sédimentaire». Ce prisme paraît composé de sédiments océaniques, non subductés, qui s’accumulent en avant de la fosse, et de sédiments venant du continent voisin. L’ensemble serait affecté par des plis et des chevauchements déversés vers l’océan, en raison du couple mécanique introduit par la subduction (fig. 5 b). Dans certaines régions, ces complexes contiennent des «mélanges», c’est-à-dire un empilement chaotique de blocs d’origines diverses, allant de fragments de croûte océanique jusqu’à des lambeaux de sédiments formés en eau peu profonde. On suppose souvent que la base de ce complexe est entraînée à grande profondeur dans le plan de subduction, où elle est affectée par un métamorphisme de haute pression et de basse température.Avant de généraliser un tel modèle à toutes les zones de subduction et d’expliquer ainsi les «mélanges» et le métamorphisme haute pression que l’on rencontre dans de nombreuses chaînes de montagnes, il faudrait pouvoir disposer de plus d’observations in situ . Pour le moment, les quelques sondages qui ont été réalisés indiquent que le modèle de tectonique en compression du complexe de subduction (avec plissement et chevauchement) a été confirmé au Japon et au large de l’arc des Antilles, mais que dans d’autres régions il n’existe pas de prisme d’accrétion; c’est alors la tectonique extensive qui est la mieux représentée, comme aux Mariannes et dans la fosse du Guatemala.Les zones de subduction pourraient donc fonctionner aussi bien en compression qu’en distension. Cette différence pourrait être liée au pendage de la zone de subduction. Quand l’angle est faible, le mouvement des plaques engendre un raccourcissement. En revanche, quand l’angle est grand, la lithosphère peut en quelque sorte tomber dans l’asthénosphère et provoquer en surface des phénomènes d’effondrement. L’âge de la lithosphère océanique (qui est d’autant plus dense qu’elle est plus vieille) et la vitesse de convergence sont aussi des paramètres à prendre en considération.L’interprétation des zones de subduction représente donc l’un des problèmes géodynamiques les plus importants restant à résoudre. Sa solution passera nécessairement par l’exploration directe des grandes fosses océaniques et par des sondages.3. Les chaînes d’obductionDans certaines circonstances, la croûte océanique ne s’enfonce pas sous le continent mais vient au contraire le chevaucher, d’où le terme d’obduction, qui s’oppose à celui de subduction. En fait, l’obduction est la conséquence du blocage d’une subduction par enfoncement d’un continent sous une plaque océanique sur laquelle s’est installé un arc volcanique (fig. 4). En effet, si un continent est entraîné dans une zone de subduction intra-océanique (et non plus péri-continentale comme dans les chaînes andines), ce continent ne peut, en raison de sa légèreté, s’enfoncer dans le manteau au-delà d’une soixantaine de kilomètres. Au fur et à mesure que la croûte continentale s’enfonce, le fonctionnement de la zone de subduction devient de plus en plus difficile et des contraintes compressives croissantes apparaissent qui finissent par provoquer des déformations de plus en plus importantes dans la croûte continentale qui s’enfonce et dans la croûte océanique sus-jacente. Il se produit finalement un charriage du matériel océanique sur le continent.La structure de la chaîne de montagnes qui en résulte est assez complexe; elle présente cependant une asymétrie remarquable puisque tous les chevauchements se font dans le même sens (vers le continent qui s’enfonce). Cette asymétrie est due au fonctionnement d’un couple agissant à l’échelle de l’écorce. Ce couple est orienté dans le même sens que le couple intervenant à l’échelle de la lithosphère pendant la phase initiale de subduction intra-océanique; peut-être l’un est-il l’héritier de l’autre?L’ampleur horizontale des charriages atteint parfois une centaine de kilomètres. La pile chevauchante de matériaux formée de croûte (ophiolites) et de sédiments océaniques mesure jusqu’à 20 ou 30 kilomètres d’épaisseur. La base de cet édifice se trouve ainsi portée à des pressions très fortes alors que la température n’a pas eu le temps de croître pour atteindre sa valeur normale déterminée par le gradient géothermique terrestre. Ces empilements de matériaux s’accompagnent de déformations plastiques importantes et d’un métamorphisme haute pression/basse température (faciès des schistes bleus ou des éclogites).Lorsque la déformation cesse ou gagne d’autres régions, les zones métamorphiques profondes sont ramenées en surface à cause de la remontée de la croûte continentale légère qui, trop enfoncée dans le manteau, se trouve alors en déséquilibre isostatique. Cette évolution se rencontre dans toute la chaîne alpine, de la Corse et des Alpes jusqu’en Nouvelle-Guinée et en Nouvelle-Calédonie. C’est dans ces dernières régions, et en Oman, que la géométrie initiale a été le mieux conservée; ailleurs, les obductions ont presque toujours été énergiquement reprises et plus ou moins masquées par les événements tectoniques ultérieurs. Comme une chaîne d’obduction ne correspond en fait qu’au blocage momentané d’une subduction, il s’agit là d’un phénomène transitoire le plus souvent suivi par une collision.4. Les chaînes de collisionLa collision entre deux continents a, nous l’avons vu, été immédiatement précédée soit par une subduction (fig. 3), soit par une obduction (fig. 4). Dans le premier cas, un des continents chevauche l’autre mais il est tout à fait possible qu’aucune roche océanique, trace de l’océan disparu, ne jalonne ce contact mécanique. La frontière entre les deux continents, souvent appelés suture , est alors très discrète; seules les études paléogéographiques détaillées permettent de la situer (fig. 3).Dans le second cas, un continent chevauche également l’autre mais il existe alors, coincés entre eux, des restes de croûte océanique, mis en place lors de l’obduction. La suture est alors très nette et permet de localiser facilement la limite entre les deux continents initiaux (fig. 4). Dans les deux cas, il se forme des charriages importants, dont les sens de déversement sont toujours les mêmes, c’est-à-dire dans le sens du couple induit par la subduction initiale.L’exemple de la chaîne de l’Himalaya-TibetL’Himalaya et le Tibet présentent un grand intérêt car ils montrent clairement la succession dans le temps d’une chaîne de subduction proche du type andin, d’une obduction, puis d’une chaîne de collision continentale par fermeture du domaine océanique.Au nord de l’Inde affleurent au moins trois ceintures ophiolitiques (I, II, III, cf. carte dans chaîne HIMALAYENNE) qui sont les témoins d’océans disparus par subduction au cours des 200 derniers millions d’années. Ces ceintures ophiolitiques séparent au moins quatre ensembles continentaux distincts: au nord l’Asie, au sud l’Inde et, entre les deux, le Nord-Tibet et le Sud-Tibet. À la fin du Paléozoïque (vers 漣 250 millions d’années), l’Asie appartenait à un continent septentrional appelé Laurasie et l’Inde était rattachée à un continent austral, le Gondwana, lequel comprenait aussi l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Australie et l’Antarctique. Le Nord-Tibet et le Sud-Tibet présentent certaines affinités avec cet ensemble continental austral. Entre la Laurasie au nord et le Gondwana au sud s’étendait un grand océan appelé Paléotéthys.Le microcontinent du Nord-Tibet s’est détaché le premier de cet ensemble austral. Pendant qu’il migrait vers le nord au cours du Paléozoïque terminal-Trias, la Paléotéthys se fermait progressivement par subduction sous la Laurasie; par ailleurs, un nouveau bassin océanique (la Mésotéthys) s’ouvrait entre le Nord-Tibet et le SudTibet. Le Nord-Tibet est entré en collision (suture III) avec la Laurasie au Trias (vers 漣 200 millions d’années). Suivant un processus semblable, le Sud-Tibet a commencé à migrer vers le nord, vers la fin du Paléozoïque-début du Trias. Sur sa marge septentrionale, la Mésotéthys se fermait par subduction sous le Nord-Tibet tandis qu’un nouveau domaine océanique (la Néotéthys) s’ouvrait entre le Sud-Tibet et le Gondwana. Le Sud-Tibet est entré en collision (suture II) avec le Nord-Tibet au cours du Jurassique supérieur-Crétacé inférieur (vers 漣 140 millions d’années). Enfin, au Crétacé supérieur (vers 漣 85 millions d’années), l’océan Indien a commencé à s’ouvrir; l’Inde s’est mise alors à migrer rapidement vers le nord, pendant que la Néotéthys se fermait progressivement par subduction sous le Sud-Tibet. C’est cette fermeture de la Néotéthys suivie de la collision Inde-Asie (suture I) que nous allons examiner plus en détail (fig. 6).La subduction de la Néotéthys et l’obductionLa subduction de la Néotéthys sous le Sud-Tibet induit sur la bordure méridionale de celui-ci une chaîne de type andin avec un plutonisme (le batholite transhimalayen) et un volcanisme calcalcalins (fig, 6 a). Les déformations de cette chaîne transhimalayenne sont moins bien connues que celles des Andes. On peut toutefois observer que les plissements antérieurs à la collision ne montrent que de faibles raccourcissements, comme dans les Andes.Vers le Crétacé terminal-Paléocène (vers 漣 70 à 漣 60 millions d’années) des fragments de la croûte océanique de la Néotéthys sont obductés sur la marge nord du continent indien (fig. 6 b); celle-ci est alors fortement déformée. Actuellement, on en observe très bien à l’affleurement les parties profondes affectées par un plissement ductile synmétamorphique; les plis et les charriages qui se sont alors formés sont déversés vers le sud; ils correspondent donc à un couple de même sens que celui de la subduction antérieure.La collision Inde-TibetLa dérive de l’Inde vers le nord se poursuivant à une vitesse de 5 centimètres par an, le continent indien est entraîné sous le Sud-Tibet (fig. 6 c). La collision de ces deux continents se réalise probablement à l’Éocène (entre 漣 50 et 漣 40 millions d’années); la lithosphère continentale indienne, qui comporte au moins 35 kilomètres d’épaisseur de roches «légères», de densité 2,7 environ, ne peut s’enfoncer aisément dans le manteau. Sous l’effet des forces d’Archimède, elle tend à remonter, à «flotter», et la subduction se ralentit considérablement. La dérive de l’Inde vers le nord (qui est estimée à environ 2 000 km depuis 漣 40 millions d’années) ne peut donc plus être absorbée normalement par subduction de la lithosphère indienne; elle provoque alors un important raccourcissement des marges continentales asiatique et surtout indienne.Ce raccourcissement produit d’importants cisaillements dans la croûte de la marge nord-indienne. Le premier formé correspond au chevauchement du haut Himalaya (fig. 6 c). Il est probable que l’épaisseur importante (70 km) de la croûte continentale sous l’Himalaya est due au redoublement, grâce à ce chevauchement, de deux épaisseurs normales de croûte. Pour les mêmes raisons que celles invoquées précédemment, l’enfoncement de la croûte continentale indienne dans le manteau ne peut pas se poursuivre. Un nouveau cisaillement crustal (Main Boundary Thrust , M.B.T., fig. 6 d) se produit plus au sud; il est accompagné d’importants plissements d’âge plioquaternaire et actuel, au nord de la plaine du Gange. Bref, la collision se traduit par la formation de grands cisaillements de la croûte continentale. Ces chevauchements progressent «par sauts» dans le continent indien: ils sont accompagnés d’une déformation très caractéristique que l’on n’observe pas dans les Andes. En effet, ils amènent des lames de croûte profonde, qui étaient très chaudes (environ 700 0C), sur des sédiments superficiels froids. Au fur et à mesure que le chevauchement progresse, une déformation ductile (avec métamorphisme) se développe de part et d’autre du cisaillement. Par fusion partielle de la croûte,il se forme même des granites (dits d’anatexie). De plus, comme la déformation est essentiellement contrôlée par ce cisaillement, le matériau est très fortement étiré dans le sens du transport. On peut considérer que toute la déformation est la conséquence d’un couple d’échelle crustale hérité de la subduction.ConclusionsDe façon générale on peut donc dire que dans les chaînes de collision, le sens de déversement des grands chevauchements permet de reconstituer le pendage de la subduction initiale. On a parfois supposé que ces grands chevauchements avaient un sens de déversement inverse du couple induit par la subduction. Mais jusqu’ici aucun exemple de ce type, pas même le dernier cité, celui des cordillères nord-américaines, n’a résisté à un examen attentif des données de terrain.Les chaînes de collision se caractérisent donc avant tout par l’existence de grandes nappes de charriage continentales dont la flèche dépasse 100 kilomètres. Ces charriages furent décrits au XIXe siècle dans les Alpes (fig. 8) par des géologues célèbres comme Albert Heim, Marcel-Alexandre Bertrand, Pierre Termier, Émile Argand et Maurice Lugeon. Ces découvertes furent à l’origine d’une période «nappiste» exaltante. Malheureusement, de nombreux géologues essayèrent d’appliquer cette notion à toutes les chaînes du monde, alors qu’elle ne concerne que les chaînes de collision.Enfin, il faut insister sur le fait que la partie profonde de ces grands chevauchements – la racine – subit une déformation plastique importante, mais que le métamorphisme qui l’accompagne est de haute température. Contrairement à ce qui se produit en cas d’obduction, l’écorce a le temps de se réchauffer après son épaississement. La base de l’écorce peut fondre et des magmas granitiques peuvent remonter dans les niveaux supérieurs de la croûte. Dans certaines chaînes, comme la chaîne hercynienne d’Europe, ces intrusions sont très abondantes (granites de Bretagne et du Massif central par exemple).La collision continentale est donc un phénomène très général, mais très souvent les structures tangentielles qui la caractérisent ont été reprises et plus ou moins défigurées par les déformations tectoniques postérieures. C’est pourquoi tous les grands charriages des chaînes de collision n’ont pas encore été découverts.5. Les chaînes intracontinentalesSi dans les chaînes de collision la convergence continue après la mise en place des premiers grands chevauchements, les déformations qui se produisent dans la chaîne finissent par être totalement «continentales» puisque la croûte océanique a disparu. Ces déformations sont progressivement de moins en moins influencées par l’asymétrie mécanique introduite par la subduction initiale. Le style de la déformation va alors se modifier progressivement pour aboutir soit à des structures plus ou moins symétriques dessinant un éventail à l’échelle de l’écorce, soit à une déformation (dite «plane») caractérisée par le fonctionnement de grands décrochements, soit à une combinaison des deux (fig. 6 et 7).L’exemple de l’Himalaya-TibetPour analyser ces déformations intracontinentales, nous reprendrons l’exemple de l’Himalaya-Tibet examiné ci-dessus. Nous avons vu que de grands chevauchements se forment dans la marge nord-indienne à la suite de la collision continentale. Le raccourcissement qui en résulte, estimé à moins de 1 000 kilomètres, ne suffit toutefois pas à absorber tout le déplacement de l’Inde vers le nord. Le reste du mouvement, au moins 1 000 kilomètres, est pris en compte par la pénétration de l’Inde dans l’Asie et par une intense déformation intracontinentale de celle-ci en arrière des chevauchements frontaux.La pénétration de l’Inde dans le continent asiatique est attestée par la forme même de la marge nord-indienne (cf. carte dans chaîne HIMALAYENNE). Elle est confirmée par des études du paléomagnétisme des roches d’âges variés de l’Inde et du Tibet. Celles-ci montrent incontestablement que depuis 漣40 millions d’années, l’Inde continue de migrer vers le nord par rapport au Sud-Tibet, supposé fixe.Un vaste programme de recherches géologiques et géophysiques, mené au Tibet de 1980 à 1982 dans le cadre d’une coopération franco-chinoise, a permis de bien analyser l’évolution de cette déformation intracontinentale. Nous avons vu que lorsque la collision Inde-Tibet se produit (fig. 6 c), la Néotéthys est totalement fermée; seuls des lambeaux de croûte océanique (les ophiolites) en marquent la trace le long de la vallée du Tsang-po (suture I, fig. 6 c). La croûte continentale est comprimée suivant une direction nord-sud, de part et d’autre de cette suture, mais là, le raccourcissement demeure modéré. Des plis et des failles inverses déforment les nappes ophiolitiques mises en place au moment de l’obduction. Ces déformations entraînent même des rétrodéversements vers le nord des nappes ophiolitiques, compliquant ainsi beaucoup leur étude. Ensuite, la déformation intracontinentale est assurée par un système de failles de décrochement qui, globalement, résultent d’une compression nord-sud avec extension concomitante est-ouest. Encore récemment, il n’existait que peu de travaux géologiques sur des régions difficiles d’accès comme le Tibet, le Xinjiang, ou la Mongolie; de plus, ceux qui y avaient été réalisés par les chercheurs chinois étaient encore peu connus dans le monde occidental. Le lancement du satellite Landsat-1 par la N.A.S.A. permit de réaliser des «photographies» de tout le continent asiatique. Leur examen détaillé révéla l’existence en Asie de gigantesques failles récentes ou actives. Le mouvement de ces failles observées sur ces photographies ou déduites de l’étude des séismes, impliquait un raccourcissement récent nord-sud de la croûte continentale accompagné d’un allongement suivant une direction proche de est-ouest. C’est à partir de ces données qu’un modèle de déformation intracontinentale de l’Asie a été proposé par deux chercheurs, Peter Molnar et Paul Tapponnier, par analogie avec des expériences classiques de métallurgie. Celles-ci montrent qu’au front d’un poinçon rigide emboutissant un métal plastique existe une zone peu déformée au-delà de laquelle le métal flue dans un plan, le long de lignes de glissement. Ce fluage produit un allongement du matériau transversalement au déplacement du poinçon. Le continent indien, figé en quelque sorte depuis 600 millions d’années, est assimilé à ce poinçon rigide. L’Asie, plus facilement déformable parce que réchauffée par des intrusions de magmas et fracturée au cours de son histoire mésozoïque (200 derniers millions d’années), est assimilée au métal plastique. L’analogie des deux dispositifs a conduit P. Molnar et P. Tapponnier à admettre que l’enfoncement de l’Inde dans l’Asie a actuellement pour conséquence d’étirer la croûte continentale asiatique en direction est-ouest. Cette croûte serait préférentiellement chassée vers l’est, vers la «frontière libre» des zones de subduction du Pacifique occidental, qui offrent moins de résistance au déplacement que les domaines continentaux situés à l’Ouest. Ce modèle est manifestement trop simple, puisqu’il ne prend pas en compte les très grands chevauchements qui affectent le front du continent indien, et qui sont responsables des plus forts reliefs du globe, mais il a eu le très grand mérite d’attirer pour la première fois l’attention sur le rôle majeur que jouent les grands décrochements dans la déformation de l’Asie.En fait, l’expédition franco-chinoise au Tibet a montré la réalité de ces grands décrochements récents (fig. 6 d2). Elle a montré en outre qu’après ceux-ci (après 漣 7 à 漣 5 millions d’années) se forment de grands fossés d’effondrements de direction voisine de nord-sud qui traversent le Sud-Tibet, de l’Himalaya à plus de 400 kilomètres au Nord du Tsang-po (fig. 6 d3). Ces fossés sont bordés par des failles normales qui coupent les moraines glaciaires et les alluvions quaternaires les plus récentes. Celles de direction nord-sud montrent des mouvements de failles normales, celles de direction nord-ouest - sud-est et nord-est - sud-ouest des mouvements de failles décrochantes respectivement dextres et senestres. Ces mouvements montrent qu’actuellement la croûte tibétaine est effectivement étirée suivant une direction est-ouest. De nos jours encore, l’Asie se déforme très activement ainsi que le montre la sismicité intense de cette région. Mais cette déformation intracontinentale ne s’exprime pas seulement par des failles normales ou décrochantes. En Asie, au nord du Tibet et du désert du Tarim, les chaînes du Tianshan et de l’Altaï, qui se sont formées au cours du Paléozoïque, culminent actuellement à 7 000 et 4 000 mètres. Il est clair que leur altitude élevée est une conséquence de la collision Inde-Asie. Ces chaînes, actuellement réactivées en compression, sont devenues des chaînes intracontinentales.ConclusionsAinsi, à la suite de la collision continentale, les déformations gagnent des territoires nouveaux qui appartenaient jusqu’alors à la plate-forme continentale voisine de la zone d’affrontement initiale. Il se forme ainsi de nouvelles chaînes qui ne dérivent plus de domaines marins profonds (les géosynclinaux) remplis par une forte épaisseur de sédiments, mais de domaines marins peu profonds ou même continentaux, dont les sédiments sont souvent peu épais. Ces zones, vraiment intracontinentales, présentent une tectonique beaucoup moins compliquée que celle des parties internes des chaînes avec des plis et des failles inverses, mais sans charriages importants (fig. 7).Dans les zones internes des chaînes, il se produit des déformations analogues mais qui se superposent aux déformations antérieures dues à l’obduction ou à la collision. Celles-ci, charriages et schistosités de roches métamorphiques originellement proches de l’horizontale, sont alors énergiquement replissées (fig. 8). Certains charriages peuvent être redressés jusqu’à la verticale. Les structures tardives sont parfois si importantes qu’elles sont les seules à attirer l’attention. Elles sont souvent recoupées par des intrusions granitiques post-tectoniques qui correspondent aux dernières traces de fusion de l’écorce. Cette fusion a commencé bien avant en donnant des intrusions dites syntectoniques (contemporaines des déformations) mais l’inertie thermique du phénomène permet au magmatisme (ensemble des phénomènes liés à la remontée et la mise en place des magmas) de se prolonger jusqu’aux ultimes stades de la déformation, voire après.Dans presque toutes les chaînes, la déformation intracontinentale tardive se termine par la formation de décrochements le long desquels les coulissages dépassent fréquemment une centaine de kilomètres. Cette tectonique cassante représente généralement le stade final de la vie d’une chaîne.Il existe des chaînes intracontinentales beaucoup plus simples, dont le mode de formation est actuellement mieux compris. Ces chaînes ne se greffent plus sur des zones de suture mais naissent à l’intérieur des masses continentales à proximité des chaînes de collision. Elles se superposent toujours à une anomalie qui marque une zone de faiblesse de l’écorce, qu’il s’agisse de bassins sédimentaires ou de grandes failles (fig. 7).La collision induit dans la plate-forme continentale voisine des contraintes compressives croissantes. La déformation se concentre d’abord le long des anomalies géologiques, puis gagne les régions adjacentes. Les failles pré-existantes rejouent en failles inverses ou en décrochements suivant leur orientation par rapport aux contraintes. Les bassins se plissent et, bordés par des failles chevauchantes, ils se transforment peu à peu en zones de reliefs. Dans beaucoup de cas, la couverture sédimentaire se sépare de son substratum cristallin: grâce à l’existence d’un niveau plastique, dit de décollement, elle se plisse de façon indépendante et peut glisser le long des pentes de la chaîne en formation.Le style tectonique de ces chaînes est toujours assez simple (comme par exemple dans les chaînes atlasiques du Maroc). Cette simplicité résulte probablement d’une mise sous contrainte relativement modérée. Mais on rencontre des intermédiaires entre ces cas simples et la grande complexité des chaînes de collision; il s’agit par exemple des Pyrénées, du Caucase et du Tianshan, où le serrage fut plus intense. On connaît aussi, très loin des zones de collision et au milieu des plaques continentales, quelques cas de chaînes ou plus exactement d’embryons de chaînes extrêmement simples à plissement très modéré; l’exemple le plus typique correspond à la zone plissée de la Bénoué, au cœur même de la plaque africaine.6. Les chaînes compositesNous avons vu qu’avant d’être emboutie par le continent indien, l’Eurasie était bordée au sud par une série de chaînes parallèles d’âge triasique (200 millions d’années), jurassique supérieur-crétacé inférieur (150 à 120 millions d’années) et éocène (50 à 40 millions d’années). Ces chaînes sont d’autant plus vieilles qu’elles occupent une position plus septentrionale. Tout se passe comme si, depuis 200 millions d’années, l’Eurasie grossissait progressivement par accollement de microcontinents d’origine australe, les «lignes» d’accollement correspondant aux limites de ces chaînes. Ainsi l’Himalaya-Tibet est une vaste chaîne de montagnes composite, formée par la juxtaposition de chaînes «élémentaires» d’âges différents et de microcontinents. Ces chaînes «élémentaires» sont elles-mêmes composites; certaines d’entre-elles au moins résultent en effet de la superposition de subduction, d’obduction et de collision. Enfin, l’ensemble chaînes «élémentaires» et microcontinents a été affecté par une déformation intracontinentale.Ainsi, pendant quelque 200 millions d’années, un même mécanisme affectant le manteau a fonctionné de façon permanente dans un territoire, surtout océanique, couvrant le quart de la planète. Ce mécanisme a morcelé la bordure d’un continent austral (le Gondwana) et peu à peu a accolé les fragments à un continent septentrional (l’Eurasie). Il est probable que les chaînes asiatiques ne sont pas les seules à s’être formées de la sorte et qu’on retrouve ce mécanisme dans les cordillères nord-américaines. On voit ainsi comment l’étude des chaînes de montagnes permet de saisir certains mécanismes géologiques fonctionnant à l’échelle de notre planète tout entière.La migration des déformationsDans une chaîne d’obduction ou de collision on peut distinguer une partie «interne» qui chevauche une partie «externe». Dans ce cas, la déformation se déplace presque toujours de l’intérieur vers l’extérieur de la chaîne. Cette notion est bien illustrée par les Alpes (fig. 8) où l’on passe d’une zone interne (sud de la Suisse, frontière franco-italienne) déformée au Crétacé supérieur (entre 漣 70 et 漣 90 millions d’années) à une zone intermédiaire (Briançonnais) déformée à l’Éocène (face=F0019 漣 40 millions d’années), puis à une zone externe (Préalpes) déformée au Miocène (entre 漣 20 et 漣 10 millions d’années).Nous avons vu que le même phénomène se retrouve dans l’Himalaya où on rencontre successivement (fig. 6): au nord, la suture de Tsang-po, qui marque la ligne de collision il y a 40 à 50 millions d’années, puis, vers le sud, un spectaculaire chevauchement (Main Central Thrust ou M.C.T.) de plus de 100 kilomètres de flèche, situé sur le versant méridional de la haute chaîne et qui a dû fonctionner voici 25 à 30 millions d’années; enfin, plus au sud encore, en bordure des Siw liks (au nord de la plaine du Gange), un chevauchement récent (M.B.T.) encore actif aujourd’hui. Nous avons vu que cette migration des zones actives est induite dès l’obduction par le couple créé à l’échelle de la lithosphère par la subduction. Après le ralentissement de la subduction, lié au premier épaississement de la croûte continentale, cette migration représente le réarrangement mécanique nécessitant le moins d’énergie pour absorber le déplacement de la plaque indienne. Mais si l’on considère un domaine plus vaste, on constate qu’il s’est également produit une migration de la déformation vers le nord. Cette dernière est particulièrement nette au Pamir et dans le nord du Tibet. À la subduction et à l’obduction correspondent un magmatisme calcalcalin et un métamorphisme de haute pression et basse température, à la collision correspondent un magmatisme d’anatexie et un métamorphisme de haute température et moyenne pression. Métamorphismes et magmatismes suivent la migration des déformations. Mais la déformation n’évolue pas toujours de façon aussi simple et progressive. Des changements brutaux dans la nature et la localisation des déformations peuvent intervenir. De telles perturbations résultent de changements du champ de contraintes qui se produisent quand un système, se déformant de plus en plus difficilement, finit par se bloquer et donner naissance à un nouveau système qui n’aura lui-même qu’une durée de vie limitée. Les mécanismes régissant le comportement de ces systèmes successifs ne sont pas encore bien compris car on ne maîtrise pas assez les problèmes de mise sous contrainte de l’écorce lorsque la géométrie des ensembles en présence est complexe.7. Les chaînes anciennesNous avons étudié des chaînes ayant moins de 200 millions d’années et qui résultent de mouvements relatifs de plaques connus par l’étude des zones océaniques contemporaines de ces déplacements. Mais, pour l’étude des chaînes anciennes, une telle détermination du mouvement des plaques n’est pas possible car tous les océans actuels ont moins de 200 millions d’années. Il est vrai que le paléomagnétisme des roches peut en partie combler cette lacune, mais les données sont encore peu nombreuses. C’est pourquoi, dans un premier temps, les recherches se concentrent sur les chaînes récentes où les données, plus nombreuses, peuvent permettre de mettre en évidence les mécanismes fondamentaux de la formation des chaînes de montagnes.Cependant, une question préalable se pose: depuis combien de temps les mécanismes qui forment les chaînes de montagnes récentes modèlent-ils la surface de notre globe? On pense que le mode de fonctionnement de la tectonique des plaques ne correspond qu’à une période récente de l’histoire de la Terre, mais il semble acquis que les chaînes paléozoïques formées entre 漣 200 et 漣 600 millions d’années (chaînes hercyniennes, calédoniennes et pan-africaines) sont aussi explicables dans le cadre de la tectonique des plaques. On y retrouve en effet, comme dans les chaînes récentes, des ophiolites, des ceintures de métamorphisme haute pression/basse température, du magmatisme associé à des zones de subduction, de grands chevauchements crustaux. Il existe cependant quelques différences. En particulier, il semble qu’une plus forte érosion ait permis à des niveaux profonds de ces chaînes (gneiss, micaschistes) d’être visibles maintenant en surface. Il est également possible qu’au cours du Paléozoïque, la géométrie des plaques ait été différente: dans ce cas l’étude des chaînes anciennes pourra apporter des éléments complémentaires de ceux fournis par l’observation des chaînes récentes. Quant aux chaînes dont l’âge est compris entre 漣 650 et 漣 2 000 millions d’années, la question reste entière.Pour les époques plus anciennes encore, les chaînes archéennes (plus de 2 600 millions d’années) se sont formées à une époque durant laquelle la Terre était plus chaude et présentait une activité magmatique beaucoup plus intense. Il n’existait alors probablement pas encore de grandes plaques mais plutôt de nombreuses «plaquettes» et des cellules de convection de petites dimensions. L’étude des chaînes anciennes apparaît importante pour comprendre les mécanismes internes de notre planète, mécanismes qui ont évolué au cours du temps, et dont la tectonique des plaques ne représente que le dernier stade. Plus les chaînes sont anciennes, plus les informations qu’elles recèlent permettent d’accéder aux stades anciens de l’histoire de la Terre. Malheureusement, l’étude de ces chaînes se révèle longue et difficile.8. Une tectonique de la lithosphère continentaleCe rapide tour d’horizon a montré que si le postulat de la rigidité des plaques lithosphériques s’applique bien aux océans, il ne s’applique en revanche pas aux zones éminemment déformables que sont les chaînes de montagnes. Cela pourrait être sans conséquences importantes si ces chaînes de montagnes n’étaient que des bordures de plaques de largeur négligeable. Mais ces zones frontières peuvent peu à peu gagner des territoires très étendus, comme en Asie. Par ailleurs, la progression de cette déformation est contrôlée par des mécanismes dont ne peut rendre compte l’approche cinématique de la tectonique des plaques.Par conséquent, la tectonique des plaques décrit le mouvement des grandes plaques à la surface du globe; elle fournit en somme le cadre général (les données aux limites) dans lequel se forment les chaînes de montagnes mais, pour rendre compte des mécanismes de la formation de celles-ci, il faut faire appel à des modèles en quelque sorte «anti-plaques» puisqu’ils concernent les milieux hautement déformables que sont les continents.Après la tectonique des plaques, qui est née des études sur les océans et dont les grandes règles ont déjà été bien précisées, une tectonique de la lithosphère continentale a vu le jour à partir des travaux menés non seulement sur les chaînes de montagnes mais aussi sur les grands décrochements et les rifts continentaux.Là, l’essentiel reste à trouver. Ce sera une tâche longue et difficile, car la structure des continents est plus compliquée que celles des océans. Il est évident que dans cette recherche la mécanique des roches, l’expérimentation, les modélisations numérique et analogique mais aussi les données géophysiques (sismique, paléomagnétisme, gravimétrie...) et géochimiques ainsi que la télédétection spatiale apporteront une contribution majeure. Les données acquises sur le terrain resteront cependant plus que jamais indispensables.L’étude des chaînes de montagnes a certes subi un renouvellement conceptuel total grâce à la tectonique des plaques mais cette approche doit fondamentalement être complétée par une tectonique de l’écorce.C’est parce que ce nouvel aspect a été parfois négligé qu’on a vu apparaître dans les années soixante-dix des excès qui furent en définitive préjudiciables aux sciences de la Terre.Après les nombreuses découvertes qui ont été faites au fond des océans, les sciences de la Terre reviennent sur le continent, sur terre pourrait-on dire. C’est une nouvelle période qui s’ouvre devant les géologues.
Encyclopédie Universelle. 2012.